Ossiria sortait de la taverne. L'annonce de la mort de Slévas résonnait encore dans sa tête.
*Personne ne meurt sur Avalon.*
Les dents toujours serrées, elle avançait à présent, plus déterminée que jamais. Le vent frappait son visage, agressif. Mais elle ne ralentissait pas l'allure. Elle passa sur la grève, puis traversa une large plaine avant d'arriver devant une forêt. Des arbres majestueux s'élevaient devant elle. Elle regarda l'un d'eux. Son coeur battait, plus que de raison. Ses lèvres s'entrouvrirent :
"Esprits", commencça-t-elle, "En ce lieu et en ce temps je vous supplie de m'entendre..."
Elle posa un sabot, puis l'autre, franchissant une barrière naturelle. Une ligne de petites fleurs étoilées blanches courait sur le sol, aux pieds des premiers arbres.
Elle marcha ainsi sur quelques dizaines de mètres, doucement, posant ses sabots le plus délicatement possible.
"... Humblement, je me présente à vous..."
Les branches semblaient peu à peu s'écarter. Les arbres se faisaient de plus en plus rares. Une toute petit prairie apparut soudain, et en son centre, un rocher de grè laissait échapper un filet d'eau limpide, qui dévalait son piédestal avec un doux bruissement. Elle allait se perdre dans les méandres de la forêt. Ossiria avait le souffle court. Elle n'appréciait pas cela, elle n'aimait pas se présenter ainsi face aux êtres supérieurs. Ils l'avaient trop de fois abandonnée.
"... Esprits..."
Vaïel lui avait parlé de cet endroit. Lui et les siens y venaient autrefois. Quand leur peuple était encore puissant et irréprochable, les esprits leur étaient favorables et leur accordaient souvent leurs grâces. Mais ceci n'était pas sans paiement. Ossiria soupçonnait ces dieux d'être à l'origine de la mort de tout ce peuple, mais elle avait vu le vieux bourru si désemparé face aux fantômes du passé, qu'elle avait gardé pour elle ses critiques.
Elle s'avança plus proche de la source.
"Je sais ce qu'il vous faut pour maintenir votre protection sur cette île. Je le sais très bien, ô Esprits !"
Elle dégaina l'une de ses lames. Et d'un geste vif, coupa la paume de sa main droite. De la large entaille coula un sang vif. Ossiria le regarda couler un instant puis plongea sa main dans le bassin naturel qu'avait creusé l'eau millénaire.
"Par ce sang que je vous offre, je vous demande de purifier cette terre. Je vous demande d'exaucer ce voeu, comme vous l'avez fait pour ceux qui m'ont précédé en ces lieux. O Esprits ! Entendez-moi ! Otez la mort de ces terres..."
Des larmes se formaient à présent à ses yeux. Sa paume la brûlait. Il lui paraissait que quelque chose tournait autour d'elle.
"O Esprits ! Entendez ma voix !"
Elle criait à présent. Ses propres larmes la faisaient souffrir, comme si elles gelaient. Le froid. Ossiria sentait un froid s'emparer d'elle. Ce n'était que quelques gouttes de sang pourtant ! Mais comment cela se faisait-il ?! Comment était-ce possible ?
La chaleur soudain. La centaure étouffait. Ses membres ne la soutenaient plus, mais elle ne parvenait pas à s'écrouler.
Un vol d'oiseaux. Un silence soudain. Plus aucune sensation. Les yeux lourds, Ossiria était tombée sur le côté. Les herbes qui l'entouraient se laissées bercées par le vent. Tout semblait si... Normal. Le noir.
Ossiria rouvrit les yeux. Elle ne savait pas combien de temps s'était écoulé. Tout lui semblait avoir été un rêve. Elle regarda sa main. Aucune trace ne s'y trouvait. Mais comment... Elle regarda autour d'elle, un peu hébétée. La lune posait sur elle ses rayons laiteux. La mer s'élançait devant elle. La mer ?! Elle ne se trouvait pas... dans une plaine... avant ?! Elle se prit la tête dans les mains. Elle avait mal au crâne. Son sang ne cessait de battre, fort... trop fort ! Silence, pitié ! Silence ! Ses idées se remettaient peu à peu en ordre... La taverne... La mort de Slévas... Elle était partie... et.... et...
"Rhaaaa ! J'y arrive pas !!!", cria-t-elle à l'horizon.
Couchée sur le flanc gauche, elle resta un instant immobile, sans pensée, comme déconnectée. Elle soupira soudain. Et réalisa, il était temps, que ses amis avaient surement besoin d'aide. Il semblait être tard... Elle tenta de se lever mais vacilla et retomba dans le sable. Une seconde fois, prenant appui sur l'une de ses épées, elle parvînt enfin à se remettre sur ses quatre jambes. Titubante, elle marcha lentement, en direction du village. Les vagues semblaient tonner à ses oreilles. Fichue hydromel...